Voici une question que je me suis fait poser à quelques reprises durant les rencontres individuelles que j'offre, et je m'interroge moi-même sur le sujet! Je suis toujours en train de composer un roman en vers avec la bourse qui accompagne cette résidence. Dois-je l'envoyer à mon éditrice maintenant pour avoir ses commentaires ou devrais-je le peaufiner encore?
Dans le cas d'un roman ou d'un livre complet
Je trouve qu'il y a deux types d'écrivain-es, quand vient le temps d'achever et de déposer un manuscrit: ceux et celles qui vous envoient une version un peu échevelée, qui n'ont pas l'air d'avoir pris la peine de se relire, et ceux et celles qui finissent par vous l'envoyer... un jour, parce qu'ils et elles ne semblent jamais satisfait-es de leur travail et passent leur temps à y revenir pour l'améliorer.
Les deux approches ont du bon:
Premièrement, si vous faites affaire avec une maison d'édition depuis longtemps, ou avec des bêta-lecteurs et lectrices qui connaissent bien votre univers, il peut être utile de demander leur opinion assez tôt dans le processus. Cela vous évite de passer beaucoup de temps sur une mauvaise voie. Vous pouvez rectifier le tir si nécessaire et ensuite retravailler une version beaucoup plus solide de votre manuscrit. Pour cela, il est essentiel de s'entourer de personnes ou d'une équipe qu'on connaît bien et en qui on a confiance.
D'un autre côté, si vous êtes du genre autonome et que vous croyez que vous n'avez pas trop d'«angles morts», vous pouvez épargner beaucoup de travail à votre directeur ou directrice littéraire en repérant des incohérences, des longueurs, en développant des passages moins clairs. Il est certain que, chaque fois qu'on reçoit des commentaires sur un texte, on les garde un peu en mémoire et on essaie de les appliquer à nos nouveaux projets. Si vous rendez un livre bien propre, la personne qui vous accompagne aura plus de latitude. Elle pourra se concentrer sur des détails plutôt que de s'attacher à revoir toute la structure ou l'intrigue.
Mais donc, comment savoir que notre livre est prêt à être critiqué ou publié?
Eh bien, mon premier conseil serait de le laisser reposer au moins une semaine et de le relire à tête reposée, pour bien voir les choses qui auraient pu nous échapper. Posez-vous les questions suivantes: est-ce que toutes les scènes sont nécessaires? Y a-t-il des longueurs? Manque-t-il des liens pour qu'on comprenne toutes les ramifications de l'histoire? Tous les personnages sont-ils bien développés?
De même, il peut être utile de commencer par relire le dernier tiers, ou quart, du livre. C'est souvent cette portion qui vient en dernier, et notre cerveau est fatigué quand on l'atteint. Donc, la lire en premier peut nous donner l'occasion de la fignoler à tête reposée, de repérer plus de maladresses, répétitions, etc.! Ou de se rendre compte qu'on a tourné un peu les coins ronds, parce que la fatigue nous accablait quand on l'a écrite!
Si vous vous relisez sans arrêt et que vous passez votre temps à changer des choses, puis que vous revenez pour les remettre comme elles étaient... c'est signe que vous avez besoin d'un regard extérieur! Cessez de tergiverser et plongez! La relecture et le doute incessants sont parfois les instruments d'une procrastination, qui témoigne de la peur de ne pas être à la hauteur. C'est très difficile de passer par-dessus, mais si on veut être lu-e, il le faut!
De même, si vous vous relisez et que vous avez plein de questions (devrais-je modifier ce passage? manque-t-il quelque chose?...), ça peut aussi signifier que vous bénéficieriez d'un accompagnement.
Dans le cas d'un poème
On m'a aussi demandé comment savoir qu'un poème était terminé. Je trouve cette question fascinante. Dans l'absolu, on peut revenir à un poème et le modifier pratiquement à l'infini. Si je me base sur mon expérience récente du Tubart, pour lequel j'ai composé deux poèmes indépendants, je vous dirais ceci: au départ, j'écris des choses, je les combine, je rature, je fais des essais. Puis, je me rapproche de ce qu'un poème devrait être selon moi. Et c'est là que je m'interroge: Est-il fini? Pour ma part, je relis le texte mille fois et je finis par remarquer des choses qui m'échappaient au premier abord, par exemple que deux images disent la même chose, qu'il y a une répétition, qu'il y a incohérence entre deux strophes qui présentent des images contradictoires, etc.
Mais je crois que c'est avant tout une question de rythme. Quand je lis le poème, je sais, je sens, qu'il manque quelque chose ou que quelque chose fonctionne. C'est presque une intuition. J'aime rapprocher cela de mon expérience de la danse. C'est comme si mon corps le ressentait. Ça reste un peu abstrait comme notion! Mais, en analysant plus rationnellement les textes que j'ai écrits pour le Tubart, j'ai remarqué les allitérations, les assonances, les jeux que j'avais créés à mon insu. Ils étaient là, et mon corps le savait, c'est juste que ma tête ne l'avait pas rattrapé. Quand je remplace un mot ou que je l'enlève et que je me dis que «c'est mieux», c'est souvent une question de rythme et de sonorité. L'équilibre dans le poème est rétabli.
Donc, pour ma part, je détermine que mon poème est fini quand je le lis et que je sens que ça coule. Que le rythme fonctionne – ce qui comprend aussi les cassures, les irrégularités, si elles sont voulues et qu'elles servent le propos.
Extrait de mon recueil Dans mon garde-robe
Avec certaines personnes, je travaille plutôt à finir ce que le poème raconte. Quand le poème lance des grands mots un peu vagues («problèmes», «qualités», «événements»), je leur demande si elles peuvent définir ces notions, les nommer, les décrire, pour que le poème s'incarne plus dans la réalité et reste moins dans les idées. Qu'il devienne plus personnel. C'est aussi une voie à emprunter.
Je ne sais pas si ces considérations qui me sont particulières seront d'une grande aide à quiconque, mais j'aime beaucoup réfléchir à ces sujets. Si vous avez des commentaires, n'hésitez pas à m'écrire!
Comments